Flim Socialimse

Publié le par Scritch

Film Socialisme, Jean-Luc Godard, 2010

 

Il y a des films qu'on aime parce que ce qu'ils disent et montrent est beau, d'autres qu'on déteste parce que leur vision du monde nous est déplaisante. Je ne parle pas seulement esthétique, mais philosophie, "valeurs", voire politique. La posture de l'artiste, donc le départ de l'oeuvre, peut parfois importer plus que l'arrivée, le film fini. Ce qui est réjouissant avec Film Socialisme (et avec Godard souvent), c'est que c'est quand (et parce qu') on est en désaccord de fond avec lui, qu'il est le plus fascinant.

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D'emblée, le titre. Le film est formellement socialiste parce qu'il opère une redistribution des plans comme l'Etat-Socialisme redistribuerait les richesses. Il n'y a pas de plans riches ou pauvres : JLG monte ensemble des images superbes, qui attrapent divinement le bleu des vagues et la lumière rêveuse des néons, et d'autres dégueulasses, visiblement tournées au téléphone, affichant vulgairement leurs pixels baveux ; et il veut en faire quelque chose de beau parce que toutes les images ont le droit d'être belles. Ça marche presque, le montage surhumain réussissant à intégrer tous les plans dans un flot, un peu comme si des bontempi étaient incorporés sans trop de dissonance à un orchestre symphonique. Ça n'est pas loin d'être convainquant quand Godard monte à la suite les statues de chats de l'Antiquité égyptienne et les Lolcats de Youtube, ça l'est moins quand l'image vile, par effet de comparaison, vient plutôt renforcer le statut haut de l'image noble. 

L'autre socialisme de l'image, c'est la récupération façon Robin Hood du banc de montage (ou George Abitbol intello) d'images tournées par d'autres (des bouts de Ford, d'Eisenstein, d'Audrey Pulvar), à l'encontre des lois sur les droits d'exploitation (plus que d'auteur : j'insiste parce que trop de fois le débat est posé en usant de termes impropres), le film s'achevant d'ailleurs sur une amusante et bienvenue dénonciation (en une image, sans discours vaseux plein de mots superflus) de la pollution des DVD par des avertissement policiers. Le problème, c'est que le débat est faussé par la stature de Godard. Si jamais un propriétaire faisait valoir ce qui est après tout son droit le plus élémentaire, on entendrait immédiatement la foule bien-pensante pousser des cris scandalisés par l'ignoble censure. Alors que JLG pratique la citation à outrance depuis des années, ce genre de démêlées lui est arrivé, sauf erreur de ma part, pour deux seuls films : un clip de France Gall bloqué par Disney parce qu'il incorporait des extraits de Blanche-Neige, et King Lear, verrouillé une première fois par Golan pas très content qu'il s'ouvre sur une conversation privée entre Godard et lui, et une deuxième par une poétesse qui appréciait peu que ses textes y soient reproduits sans mention des sources. Hors ces deux cas, on n'attaque pas Godard parcequ'on ne touche pas aux institutions. De la même manière, Godard a beau jeu de mettre son nom au générique au même niveau que celui de ses collaborateurs (comme il ne donne pas plus, voire moins de scènes à jouer à ses acteurs people - Patti Smith, Bernard Maris - qu'à ses comédiens inconnus), on ne retiendra que lui, monstrueux, presque plus grand (et c'est dommage) par son nom-image que par son oeuvre - plus grand socialement, j'entends. Le film sort sur 36 écrans en France, ce qui est peu comparé à une prod Europacorp moyenne, mais beaucoup pour un film aussi déroutant et exigeant. Un cinéaste débutant ou peu connu, moins privilégié, avec un tel objet, aurait sabré le champagne s'il avait obtenu une salle. Bien malgré lui, Godard est un cinéaste d'avant la nuit du 4 août.

L'autre limite du film, c'est celle du discours. Le film aborde un peu tous les thèmes possibles, dès lors qu'ils touchent de près ou de trèèèèèèèèès loin à ce fameux Socialisme (en vrac : Adolf, paradis fiscaux, Palestine,etc.) de manière somme toute assez confuse, là où au lieu de tout monter-montrer ensemble, il aurait fallu parfois distinguer les choses, purifier le champ de vision des données parasites, tendre vers la limpidité. Alors certes, il y a bien un rapport entre la répression sur les marches d'Odessa et le gangstérisme financier, mais finalement, peut-être pas tant que ça. Le problème de Godard, c'est qu'il semble ne penser que par associations d'idées immédiates, façon marabout d'ficelle. Un exemple : Godard montre des pèlerins musulmans à la Mecque, puis rappelle que Hollywood est surnommée Mecque du cinéma, alors que ses fondateurs étaient majoritairement juifs. Le geste est habile, le procédé plutôt gonflant, d'abord parce que je n'ai pas pour habitude de répartir les gens selon leurs religions ou leurs ethnies, ensuite parce qu'on est à la limite de l'imposture intellectuelle quant au sens : Juifs et Musulmans, réunis main dans la main par la magie du montage, c'est, comment dire ?... un peu niais, non ? Parfois le sens est plus clair : plan 1, Alain Badiou fait une conférence devant des gradins vides ; plan 2 : son public potentiel est en train de s'amuser en discothèque ou au casino. C'est simple, juste, très drôle, mais franchement, ça ne pisse pas loin. Le plus souvent, le sens est fumeux, surtout quand pointe un déclinisme assez antipathique. Pour être clair : ça ne me gêne pas, absolument pas, de ne pas tout comprendre au pourquoi du comment de Lost Highway, 2001, Gerry, et j'ajouterais même : bien au contraire. Sauf que chez Godard, le montage est toujours allégorique, et réclame du sens, de l'interprétation intellectuelle.

Ceci étant dit, une fois qu'on a su faire abstraction des limites discursives du film (qui sont aussi ses richesses, ses angles saillants), on ne peut qu'être ébahi par sa beauté intrinsèque, ses nombreuses fulgurances visuelles, sa maîtrise formelle à peine croyable, son alliance parfaite entre son et image, sa volonté de contenir le monde, de ne ressembler à rien d'autre, sa façon de planer quinze mille bornes au-dessus de tout le reste, toutes choses qui incitent à l'humilité voire à la génuflexion. Ce qui, pour un prétendu Film-socialisme, est un peu couillon mais, pour peu qu'on ait le sens de l'ironie, assez amusant.

Publié dans Trucs Intellos

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