Passe Passe le Oinj

Publié le par Scritch

Tell Your Children, Louis Gasnier, 1936


Histoire de commencer 2010 sur matériel moins déprimant que l'annonce du décès d'Eric Rohmer (Go, Momo, go!) - voilà un objet assez curieux, culte pour des raisons pas forcément bonnes (comme souvent ce qui est culte, d'ailleurs) mais néanmoins aisément compréhensibles : l'objet a de quoi susciter l'intérêt, commandé par des bonnes âmes qui voulaient un conte moral édifiant pour la jeunesse et surtout pour leurs parents (il s'agit ce coup-ci de les avertir des dangers du cannabis), finalement exploité par des margoulins qu'on imagine (sans preuve !) moins concernés, sous des titres passablement racoleurs - c'est Doped Youth qui apparaît sur la copie, et Reefer Madness qui est le plus connu.

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On sait depuis les saloperies reportages de Zone Interdite sur les jeunes gothiques ou les ouvrages de propagande intégriste sur les méfaits du heavy metal des Beatles que les tracts alarmistes ont le plus souvent un effet incitateur. Pensez donc : si l'on a bien compris, l'abus de marie-jeanne pourrait pousser les jeunes au rire bête et  (avec pour l'illustrer des images d'un érotisme assez ahurissant compte tenu des intentions) à la fornication. Diantre ! Plus épatant : en introduction, pour dénoncer la perversité insidieuse des trafiquants, le film donne en fait toutes les bonnes (enfin, bonnes... certaines sont tellement farfelues qu'on a vraiment peine à y croire) combines pour faire circuler son teuteu en douce. Cerise : le final dramatique, pourtant sensé détourner tout individu innocent de la fréquentation des délinquants, ressemble bien involontairement à une dénonciation radicale des erreurs judiciaires et du conservatisme borné. On rit donc de bon coeur devant tant de sottises contre-productives, et l'on saisit sans peine d'où vient la réputation camp du film. Sauf que.
Les choses seraient bien simples n'apparaissait au générique le nom de Louis Gasnier, pionnier du cinéma  certes en fin de course, mais quand même pas le premier tocard venu. Croyant sans doute participer au tournage d'un machin valable, Gasnier soigne sa mise en scène et s'offre même quelques beaux gros plans et surimpressions qui rompent par touches avec la mollesse et la médiocrité de l'ensemble, faisant de Tell your Children un objet réellement étrange, finalement plus étonnant et moins commode que le nanar grotesque auquel on s'attendait. Bon sang, et si c'était ça, la vraie subversion ? Reste quand même qu'on se demande si dans l'histoire ça n'était pas Gasnier qui fumait de sales trucs : passer de Max Linder à ça...

Publié dans PTDR

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