Vous Vendre du Rêve

Publié le par Scritch

Bécassine, Pierre Caron, 1940

 

Je crois bien n'avoir jamais réussi à finir un album de Bécassine, la faute à un humour vieillot et un racisme abominable (remplacez Bécassine par Fatima, vous verrez c'est affreux) - Bécassine, la Bretonne tellement breconne qu'elle s'habille en Picarde (ce qui en dit long sur une certaine mentalité parisienne pour qui les provinciaux c'est comme les Chinois : tous pareils) ; à sa sortie le film dérivé fut d'ailleurs violemment attaqué par les élus bretons - il est vrai qu'en 1940, la France n'avait pas de problème plus grave à résoudre.becassine.jpg

Une fois qu'on a dit en quoi Bécassine sent un peu le moisi (même si le recul temporel permet évidemment - et heureusement - une approche kitsch à la Banania), il faut reconnaître que le personnage possède une force pop durable qui justifie parfaitement une adaptation cinématographique. Ce n'est pas Jean-Jacques Debout qui me contredira. L'adaptation en question s'en éloigne quelque peu : même si l'on retrouve un peu de l'idiotie pittoresque et occasionnellement poétique de l'oeuvre originelle (par exemple quand un savant invente réellement le fil à couper le beurre), l'humour repose ici plus sur un scénario vaudevillesque (co-écrit par Jean Nohain, le Drucker d'avant Drucker) ; choix plus audacieux (ou contestable, c'est selon), l'insolence et l'énergie de Paulette Dubost (101 ans et toujours là, les jeunes), qui met son personnage à égalité avec ses patrons pas très malins non plus (il me semble que la lutte des classes était bien moins virulente dans les bouquins, mais il est vrai qu'ici les patrons sont également bretons, donc un peu sots), n'ont rien à voir avec la passivité ahurie de la Bécassine authentique, tellement benête qu'elle était dessinée sans bouche. Il est vrai que le noir et blanc n'aurait pas permis de rendre la naïveté des albums (naïveté qui pour les amateurs atténue la bretonphobie d'ensemble) qui doit beaucoup à leurs coloris pastel.

Soyons franc : intrinsèquement (si tant est qu'en cinéphilie un tel mot ait un sens), Bécassine n'est pas un bon film. Mais c'est un machin tellement exubérant, qui 70 ans plus tard ne ressemble plus à rien de connu, en tout cas à rien d'actuel, traversé d'une folie douce qui frise l'insouciance (croyait-on vraiment faire rire avec ça ?) que sa vision en 2011, quoiqu'un peu éprouvante, est assez réjouissante. Le charmes les plus inattendus sont les plus troublants.

Publié dans PTDR

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article