Pop-Art

Publié le par Scritch

Cinderfella, Frank Tashlin, 1960


Comme son titre l'indique, le film est une relecture comique de Cendrillon ; Jerry Lewis y joue Fella, un adolescent attardé martyrisé par sa belle-mère et les fils d'icelle.
Commençons par le gros point noir du film : Jerry Lewis himself, dont le jeu tout en grimaces et gesticulations est assez vite horripilant. Certes, un tel volontarisme, une telle générosité corporelle méritent le respect, et avouons que Lewis arrache parfois péniblement un rire à force d'outrances, mais il n'est pas interdit de le trouver curieusement plus efficace dans les quelques scènes mélodramatiques, tout en y étant plus économe d'effets. Admettons ceci dit que l'exubérance de Lewis crée un contraste assez amusant avec le monolithisme aristocratique de ses frères, parfaitement incarnés par Robert Hutton et l'immense Henry Silva. Bergson disait que le comique était (de mémoire) "l'intrusion du mécanique dans le naturel". Comme son maître Stan Laurel, qu'il imite très mal, Lewis ramène du naturel dans le mécanique, refaisant le coup mile fois vu (avant et depuis) mais toujours efficace du maladroit incapable de se comporter comme l'on doit en société.
Là où le film marque des points, c'est sur le regard gentiment critique qu'il porte sur le conte qu'il adapte. Au début du métrage, Fella est tellement niais qu'il ne semble même pas se rendre compte qu'il est exploité, ce qui nous épargne le misérabilisme habituel de ce genre d'histoires. La bonne fée a ici des allures de joyeux poivrot, qui n'hésite pas à moquer les figures traditionnelles du conte : le prince charmant doit toujours y être beau et riche. Du même ordre, l'idée de faire tenir des rôles de jeunes premiers à des acteurs trentenaires ou plus est tout simplement brillante.
Mais la grande qualité de Cinderfella, et de l'oeuvre de Frank Tashlin en général, c'est son côté pop-art, avec ses couleurs pastel (il faut absolument voir Silva en robe de chambre rose au moins une fois dans sa vie) et ses décors beaux comme ceux des réclames pour les arts ménagers. Dans le genre ravissant, l'apparition furtive de la vraie Cendrillon est à faire passer Sirk pour Dreyer. La bande-son swing (avec apparition du Count Basie Orchestra) en rajoute dans la légèreté, pour un sujet somme toute assez grave.
Et c'est là qu'il faut réévaluer Jerry Lewis, producteur, et donc autant responsable que Tashlin de la direction artistique. On a trop vu depuis de comédies reposant sur leur acteur pour s'épargner toute recherche formelle pour ne pas bouder un tel soin dans la scénographie - les intermèdes musicaux valent bien certains Minnelli mineurs. Alors, on pourra trouver que par moments la bouffonerie triviale de l'acteur tranche vilainement avec la finesse d'écriture et de mise en scène de Tashlin, dont certaines trouvailles (mais qui sont peut-être aussi dues à Lewis, la répartition des tâches est peu claire) sont assez géniales - le gag qui consiste à faire changer Fella de veste pour mettre celle du valet quand on lui demande de faire le service à table est un des plus inventifs et intelligents que j'ai jamais vu. Au moins faut-il reconnaître à Lewis de bien s'entourer, ce qui est aussi une forme de talent. Et Cinderfella, s'il est loin d'être aussi hilarant que sa paire d'auteurs semble l'avoir souhaité, n'en est pas moins suffisemment riche en trouvailles et en malice pour maintenir l'intérêt du spectateur jusqu'à un finale superbe.

Publié dans PTDR

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