Beauté de la Morosité

Publié le par Scritch

Madigan, Don Siegel, 1968


Don Siegel ayant à son actif au moins deux chef-d'oeuvres (Flaming Star et Hell Is for Heroes) et plein de machins bien chouettes (Dirty Harry, Invasion of the Body Snatchers, The Shootist), et la mention au même générique des blacklistés Howard Rodman et Abraham Polonsky et de l'anticoco primaire Richard Widmark étant assez intriguante, l'objet n'est pas resté bien longtemps dans le bac à soldes ("j'vous dis pas l'prix, c'est indécent") où il n'avait rien à faire.
Madigan peut être vu comme le film de transition entre les débuts de cinéaste classique de Siegel et sa période eastwoodienne plus moderne - la même année, il réalise Coogan's Bluff, sorte de brouillon de Dirty Harry. La facture doit encore beaucoup à la grande tradition hollywoodienne, mais l'influence de la télévision (et probablement, pour l'écriture, de la littéraure à la Ed McBain) se fait de plus en plus ressentir : la photographie pastel un peu terne n'a ni la flamboyance colorée des grands récits héroïques, ni le tranchant du noir et blanc de la bonne série B. On est dans le gris, le terne, le refus du lyrisme, bien rendu par la sécheresse du découpage de Siegel. Le scénario avorte la course-poursuite inaugurale pour se concentrer sur des sujets plus médiocres : enquête laborieuse faite de coups de fils répétitifs et de témoignages bidons, déboires conjugaux à tendance soap (pas les passages les plus convaincants), affaire de corruption au sein de la police... Même les potentiels grands sujets sont traités sous l'angle le plus désenchanté possible, comme lorsque le grand chef Henry Fonda (impérial, mais est-il besoin de l'écrire ?) doit faire face à des accusations de racisme, ou se coltiner une réunion avec une association de mères de familles... Tout cela pourrait être bien ennuyeux si ces scènes (qui constituent le corps du film alors qu'on pourrait être habitué à les voir à l'arrière-plan) n'étaient portées par une ironie désespérée (mais sans cynisme ni irrespect) et un beau sens du détail, une attirance pour les gestes routiniers du métier policier.
Jean-Patrick Manchette (ça fait toujours bien de caser des références littéraires) disait que le polar était "la grande littérature morale" ; le personnage ambigu de Richard Widmark répond exemplairement à cette règle. C'est un gros dur à l'ancienne, assez facilement détestable avec ses méthodes qui frisent plusieurs fois la bavure, mais dont le sens du devoir et le refus du carriérisme suscitent le respect, tout en laissant perplexe face à l'absurdité fataliste de son abnégation. Même Fonda, archétype du héros immaculé, voit finalement sa probité contestée. Là encore, les grandes questions sont posées sans ostentation, sans surcharge signifiante ni pédanterie moralisatrice, et c'est admirable.
Enfin (et maintenant, nous aurons une pensée émue pour Karl Malden), Madigan nous rappelle une époque pas si lointaine où le cinéma était peuplé de trognes incroyables, où les gueules cassées n'étaient pas cantonnées aux troisièmes rôles de dealers ou de portiers de discothèque. Si Henry Fonda reste dans la tradition des gravures de modes post-Valentino, les marques de l'âge en sus, Widmark est d'une beauté moins restrictive, celle qui séduit les admirateurs de James Cagney, Nick Nolte, Michel Contantin, Rod Steiger, Gary Busey, Henry Silva, Charles Bronson, Spencer Tracy,  Bolo Yeung, Lee Van Cliff, Kevin Bacon, Edward G. Robinson, Eli Wallach, Leslie Nielsen, Richard Kiel, Fred MacMurray... (Rajoutez vos chouette tronches préférées à la liste.)
Alors certes, Madigan n'est sans doute pas du grand cinéma (ni même du grand Siegel), mais  il s'en dégage un parfum Dernière Séance des plus agréables...

Publié dans Tuff Guyz

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M
ça fait un moment qu'il traine sur mon étagère "à voir" celui-là et va falloir que je me décide à me faire une soirée 70' !!!
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