La Première Séance

Publié le par Scritch

I Giganti della Tessaglia, Riccardo Freda, 1960


Un jour, en sortant d'un cinéma de Bobigny (ou Pantin, je ne sais plus) qui projetait Maciste all'inferno, l'envie me pris violemment de placer Riccardo Freda parmi les plus grands. J'ai cru comprendre que Jean-François Rauger et Bertrand Tavernier étaient de mon avis, et Sophie Marceau d'un tout autre, ce qui, convenez-en, me place plutôt du côté de la bonne compagnie.
Il est vrai qu'une telle opinion peut dérouter à la vision de ce Géant de Thessalie, relecture joyeusement hétérodoxe du mythe des Argonautes et vestige d'un temps où le cinéma tenait encore beaucoup du bricolage. Difficile de savoir si les exigences du public ont changé, si l'on s'émeut moins facilement aujourd'hui, toujours est-il que l'oeuvre de Freda nécessite pour être pleinement appréciée une grande capacité à prendre des vessies pour des lanternes. Il serait bien sot de s'arrêter à l'aspect fauché du film, avec son navire bravant fièrement la houle de la piscine de Cinecittà ou ses batailles épiques à quinze figurants, ainsi qu'aux tendances nanardes inhérentes au genre peplum, mais force est d'avouer que ce métrage-ci atteint régulièrement des pics de tartitude, entre ses dialogues mélodramatiques en plomb (je précise que j'ai vu la chose en VF), sa séquence de ballet chorégraphiée par le grand-père putatif de Kamel Ouali et incluant la danseuse la plus nulle de toute l'Italie, et surtout cette scène ahurissante dans laquelle Argos converse avec un mouton. Notez bien que je n'inclue pas dans les tares du film l'apparition d'un gorille cyclope géant digne d'une production Toho, celle-ci déclenchant un rire tellement bon enfant qu'elle mérite d'être portée au crédit du film.
D'où vient alors le fait que l'objet émerveille régulièrement, en-dehors de l'évidente rigolade second degré ?

Il faut, d'abord, dire que Freda est un cinéaste extrêmement classieux, bien que ce film-ci comporte peu de fulgurances. Les scènes sont quasiment toutes filmées en plans longs, avec d'habiles mouvements de caméra qui permettent de passer d'un personnage seul à une vue d'ensemble, chaque acteur étant positionné avec précision. Certes, on reste là dans une tradition du théâtre filmé ; la surprise provient de la souillure de cet académisme raffiné par de réjouissantes âneries de fumetti, dont le cyclope velu mentionné plus haut. C'est le propre des grands films merveilleux que de savoir traiter un matérieu rocambolesque avec rigueur et dévouement.
A la base du plaisir procuré, il y a le héros : Jason saute, escalade une muraile, escalade une statue, fait des moulinets avec son épée. Pour un gosse, c'est suffisant. Avec sa construction en vignettes colorées, Le Géant de Thessalie rappelle les adaptations illustrées de Robin Des Bois ou de L'Ancien Testament que l'on a pu lire enfant. Pourtant, la présence de quelques images sanglantes ou gentiment érotiques (ah, le bon vieux coup de la demoiselle enchaînée !) adresse plutôt le film aux adultes. Il fonctionne alors - et sûrement encore plus maintenant,  et peut-être  même seulement maintenant, avec un demi-siècle de décalage - par effet de nostalgie assumée, ramenant le spectateur adulte à un âge où il savait s'enthousiasmer sans arrière-pensée. Le temps fait bien les choses : les récits édifiants sont toujours plus délectables avec le recul des ans, et ainsi le spectateur adulte peut, simultanément, éprouver un plaisir simple à suivre une histoire naïve tout en souriant de cette naïveté, être à la fois totalement dedans et légèrement à distance. C'est sans doute la grande force de ce cinéma primitif que de rendre les souvenirs d'enfance plus beaux que l'enfance, de faire croire que c'était mieux avant, alors qu'on sait bien tous qu'avant, c'était tout nazebroque.

Publié dans Rêveries

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M
Comme tu dois t'en douter j'aime beaucoup l'oeuvre de Freda !!!
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S
<br /> Je m'en doute bien <br /> Celui-ci n'est pas son meilleur, mais il a son petit charme.<br /> <br /> <br />