Le Fond, la Forme et l'Amour

Publié le par Scritch

Be Kind Rewind, Michel Gondry, 2008

Il va m'être assez difficile, je le sens, de synthétiser les 11000 pensées qui me viennent à l'esprit après vision aussi enthousiasmante et stimulante. Commençons par dire que je ne connaissais de Gondry cinéaste que son Eternal Sunshine of the Spotless Mind, qui m'avait bien plu mais dont j'avais trouvé qu'il ne développait pas au-delà du gadget malin sa très belle proposition initiale - en gros, que le scénario se résumait trop à une idée brillante mais bien seule, ce qui suffisait dans ses clips géniaux mais semblait (lapalissade à douze heures) un peu court pour un long métrage. Ce qui est formidable dans ce Be Kind Rewind, c'est que s'agissant d'un film sur le cinéma bricolé, il permet aux bricolages de Gondry d'être autres choses que des actes de bravoure ou une marque de fabrique un peu systématique ; ils enrichissent le récit et surtout sont porteurs, discrètement, d'un discours.
L'histoire vite fait : après destruction accidentelle du stock de VHS de leur vidéo-club, Jack Black et Mos Def se retrouvent obligés de retourner en vitesse et avec les moyens du bord les titres effacés, ce qui réclamera de leur part et de celle de Gondry une tornade d'inventivité. La première chose qui surprend, c'est que Gondry pioche essentiellement dans des films des année 80-90, donc n'appartenant pas à une cinéphilie classique (à la Brion-Mitchell), privilégiant les grands succès populaires aux vénérations de chapelle. A quelques exceptions près (Robocop, 2001), les films qu'il choisit (Ghostbusters, The Lion King), ne sont pas des chefs-d'oeuvres mais des objets populaires et assez représentatifs de leur époque, ce qui est une force en soi, au-delà des critères esthétiques. Derrière ces succès de masse, le film rappelle le pouvoir fédérateur du cinéma populaire, créateur pour le pire comme le meilleur d'un socle culturel commun, élément non négligeable du vivre ensemble, du lien social et de tous ces machins dont on parle dans les discours de campagne.
L'autre choix qui peut surprendre c'est celui, jusque dans le titre, de la VHS. J'avoue être toujours un peu éberlué en voyant des gens pourtant sains d'esprit attacher de la valeur à ces rectangles moches à l'image dégueulasse, mais des personnes d'un âge honorable m'ont expliqué qu'avant Jack Lang, le câble ou la Cinq de Berlusconi, c'était le seul moyen de voir du sexe et de la violence, et mine de rien, le sexe et la violence au cinéma, c'est quand même vachement important. Je conçois donc parfaitement que ces gens qui ont claqué une fortune dans les bandes de Mad Max ou The Texas Chainsaw Massacre, rappelons-le interdits d'exploitation en salle à l'époque, développent ce fétichisme plutôt touchant. La scène dans laquelle Danny Glover découvre qu'il n'est plus nécessaire de la moindre passion pour louer des DVD est à ce titre d'une ironie assez douloureuse : Gondry ne filme pas seulement la disparition d'un support, mais d'un rapport intime à l'oeuvre ; les années 80 ont vues la naissance d'une cinéphilie hors des cinémathèques, dans les vidéo-clubs progressivement remplacés par des supermarchés sans âme, et c'est la mort de cette cinéphilie, probablement idéalisée, qui est au coeur du film.
Entre autres questions soulevées par celle du support, finit bien par arriver celle des méchants pirates ; Gondry émet l'idée, là encore sans doute un poil trop enthousiaste, que l'amour de l'art peut être la victime de la soi-disant défense de ses intérêts - je n'ouvrirai pas le débat ici, mais la question est abordée dans le film de manière suffisamment originale et drôle pour le nourrir sans repasser par les gangueux sentiers battus et rebattus.
Je suis un peu plus gêné par l'éloge en douceur du révisionnisme, comme si, à force d'amour, Gondry oubliait la raison. En gros, ses personnages jugent acceptables de réécrire l'histoire par le cinéma, accréditant l'idée à mon avis fausse que la fiction est un mensonge. Mais on peut aussi y voir un appel à l'autogestion par le film, comme si celui qui tenait la caméra reprenait le contrôle de son destin, le tournage collectif flirtant alors avec la révolution communiste. Là encore il faut beaucoup d'enthousiasme, voire de naïveté, pour soutenir une telle thèse, comme il en faut pour donner la même valeur à un blockbuster professionnel et à une série Z amateur, et surtout pour croire et faire croire que la deuxième peut séduire le grand public au point de lui donner des envies d'émulation. Toutes choses qui peuvent sembler bien excessives, mais Dieu vomit les tièdes, et une telle foi est contagieuse en plus d'être belle.

Publié dans PTDR

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