Don't You Forget about Me

Publié le par Scritch

The Breakfast Club, John Hughes, 1985


Oui d'accord, John Hughes n'était certainement pas le grand cinéaste du siècle, ni même celui des années 80, décennie formidable et détestable indissociable de sa courte oeuvre. Mais, avec leur sens du détail et leur sentimentalisme acidulé, ses comédies teenage sont une part non négligeable de cette Amérique que j'aime d'amour fou. Sa légèreté élégante manquait depuis sa reconversion dans le divertissement familial dans les années 90, et savoir qu'elle va définitivement manquer ne m'enchante pas trop.
The Breakfast Club est peut-être son titre emblématique, resté dans les mémoires pour une chanson magnifique, cinq frimousses adolescentes et attachantes, et sans doute aussi parce que c'est l'un des rares films, sinon le seul, à aborder cet événement d'importance dans la vie des jeunes : la retenue. Une de ses qualités est d'arriver à faire vivre cinq caractères types au-delà de cette dimension d'archétype, jouant des figures imposées sans s'en contenter. Cela tient entre autres à la précision du regard de Hughes, qui aère régulièrement son récit par des plans courts saisissant dans des gestes ordinaires (ah, les impayables mimiques d'Emilio Estevez, génial comme rarement) les particularités qui n'appartiennent qu'à un personnage, faisant jaillir l'individu derrière le stéréotype. C'est ce qui rend le film, non pas réaliste (la réalité n'a pas cette poésie amère), mais au moins crédible.
On voit là que si The Breakfast Club peut ressembler de loin à un mélo gnangnan standard, il s'agit en fait d'une dénonciation en douceur du fascisme lycéen. Il semblerait que chaque classe ait son sportif benêt, son artiste perturbée, son nerd, sa beauté glaciale que tous les mecs rêvent d'emballer (Céline, si tu lis ces lignes...) et son gros con qui croit qu'il est un rebelle parce qu'il déchire des livres. Si ces stéréotypes peuvent prêter à sourire, Hughes montre bien la cruauté qui se cache derrière, obligeant chacun à se conformer à ce qu'il est censé être, comme un reflet adolescent de la vulgarité reaganienne de l'époque, comme s'il fallait que le monde soit proprement découpé en catégories dont on ne peut sortir. Même si l'on tiquera devant le fait que la weirdo a besoin de se banaliser pour séduire (ce qui, d'un autre côté, amène à réfléchir sur les effets pervers que peut entraîner l'éloge de la différence à tout prix), une telle morale appliquée à un scénario de sitcom (et il suffit de regarder les programmes d'ABC Family pour voir en quoi le genre peut être monstrueusement réac) est comme un grand bol d'air frais.
The Breakfast Club séduit aussi parce que Hughes n'est jamais condescendant ni paternaliste (le paternalisme n'étant d'ailleurs que la version gentille de la condescendance) ; il n'est pas non plus démago, offrant à l'adversaire, l'adulte castrateur, d'avoir lui aussi sa petite scène introspective, montrant que lui aussi hésite, est finalement aussi paumé que ceux à qui on attribue pourtant souvent le monopole du doute. C'est une forme de miracle de la part de John Hughes que d'arriver à être quasiment toujours à la bonne hauteur - et quand le film sombre ponctuellement dans le ridicule (ah, le coup du paquet de beuh géant), c'est avec la naïveté bon enfant d'un ado trop enthousiaste. Le meilleur exemple réside dans les séquences musicales, qui captent parfaitement le pouvoir de séduction de la bubblegum pop, et ce même dans les morceaux médiocres (hors le tube des Simple Minds, les chansons ont assez mal vieilli) : sa fraîcheur juvénile, son exubérance contrôlée - musique à la fois perverse et virginale, piquante et cotonneuse. Et Dieu que Molly est belle.

Publié dans Fleur Bleue

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