Ascèse

Publié le par Scritch

Hardcore, Paul Schrader, 1979

 

Je donne sans doute parfois l'impression d'une certaine nostalgie des vedettes viriles à l'ancienne, rocailleuses, rudes, qui ont plus l'air d'être que de jouer. Pas que je déteste le method-acting, Sean Penn ou Robert De Niro, loin de là, mais il me semble que leur succès est, non pas injustifié, mais d'une certaine manière injuste. On récompense les plus évidents, ceux dont le jeu consiste pour beaucoup à montrer qu'ils jouent. Ce sont les plus démonstratifs qui se font remarquer, et si je ne suis pas contre une bonne séance de cabotinage de temps à autres, j'ai du mal à comprendre que ne soient pas plus célébrés des professionnels costauds comme John Lithgow, Michael Rooker ou Ed O'Neill. C'est un peu comme si on disait qu'Yngwie Malmsteem est un meilleur guitariste que Johnny Ramone : une absurdité pour qui a les oreilles bien en place. Dans Hardcore, George C. Scott ne fait rien, ou donne l'impression de ne rien faire, et pourtant on ne voit que lui, d'un magnétisme incandescent.hardcore.jpg

Hardcore est le deuxième film de Paul Schrader, et on voit que c'est encore un cinéaste débutant ; on pourrait même faire la fine bouche et trouver le film assez pauvrement réalisé, surtout si l'on compare avec le très léché American Gigolo, sorti à peine un an plus tard et qui montre un sursaut qualitatif pour le moins stupéfiant. Ce serait passer à côté du pourquoi du cinéma de Paul Schrader, ascète rigoriste influencé par Dreyer et Bresson - avec cette nuance que chez Dreyer et Bresson le minimalisme n'est qu'apparant, tout étant en fait très précis. Schrader ne pratique pas l'effet parce que l'effet est vulgaire. Il filme sèchement parce que son personnage principal est sec, vieux chrétien tradi rendu encore plus aride par la disparition de sa fille. Schrader, qui est avant tout un scénariste, croit à son histoire et à ses personnages et ne se sent pas obligé de gonfler, de souligner, de rajouter de l'émotion fausse à l'émotion vraie, puisque cadrer sobrement le visage de George C. Scott, d'une solidité à la John Wayne cassée par de grands yeux mélancoliques, suffit à bouleverser. Alors la photo moche, le montage plat, sont moins des défauts de mise en scène que les passages obligés d'un chemin de croix. Le seul lyrisme que s'autorise Schrader est dans la musique, qui alterne bluegrass raffiné et blues psychédélique magnifiquement sale, le tout chapeauté par Jack Nitzsche qui n'était pas la moitié d'un tocard en la matière.

Ce qui est toujours admirable dans la filmographie de Paul Schrader, c'est que malgré des dehors de professeur de morale un peu rigide, il ne porte pas de jugement définitif sur ses personnages, et même si son christianisme est évident, il est difficile de savoir ce qu'il pense vraiment de ce qu'il filme. Les spectateurs les plus libertins trouveront probablement Hardcore horriblement réactionnaire, il n'est pas sûr pour autant que les bigots y trouvent totalement leur compte : Schrader ne dresse certes pas un portrait très flatteur du monde de la pornographie, mais la condamnation franche, effleurée par endroits, n'arrive jamais vraiment. Et son personnage, pour parvenir à son but, va devoir se plonger dans ce monde, en mimer les codes ; il lui en restera forcément quelque chose.

Publié dans Fleur Bleue

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