Crade élégant

Publié le par Scritch

Beatrice Cenci, Lucio Fulci, 1969

 

Les films de Fulci d'avant sa glorieuse mais brève période horrifique sont suffisamment peu connus pour que celui-ci présente au moins un intérêt historique. C'est un drame en costume dans la lignée de Cottafavi et compagnie, une sorte de Visconti bis (les zooms y sont encore plus malhabiles), mais avec déjà ce goût du baroque déviant pour lequel Fulci sera connu plus tard (en gros, y a du gore et des meufs à oilpé). C'est moitié classe (la musique, élégante et lyrique) moitié crados, un peu comme une collaboration imaginaire entre Douglas Sirk et Hershell Gordon Lewis.

cenci.jpgBeatrice Cenci a le charme de ces films dont on ne sait pas trop à qui ils s'adressent, quel public ils visent. Lettrés amateurs de reconstitutions historiques, gros dégueulasses avides de grand-guignol, les deux à la fois (hypothèse séduisante) ? Beatrice Cenci est un récit romanesque sado-dumassien, extrêmement dense car condensé en une petite heure et demi, ce qui le rend pas évident à suivre pour quelqu'un qui comme moi possède une culture italienne proche de rien, ce pourrait être un de ces grands classiques de ciné-club un peu poussiéreux, n'était son sujet scabreux et son traitement cru. On y trouve les cadres tarabiscotés en grand angle typiques de Fulci, mais en moins flamboyants, avec une photo plus terne et un montage plus sec. Un mélodrame aride, en quelque sorte.

J'ai lu par-ci par-là que Fulci était communiste, ça ne m'avait jamais sauté aux yeux en voyant ses films. Celui-ci est peut-être le plus clairement politique, se payant la tête de l'Eglise (aucune des tortures que l'Inquisition inflige à Tomás Milián, sobre comme pas toujours, ne nous est épargnée) et d'une classe dirigeante décadente (c'est bien entendu intellectuellement intenable, mais il est très tentant et amusant d'y voir un pamphlet anti-Berlusconi par anticipation), faisant que ce film n'est finalement pas très éloigné, malgré des dehors moins nobles, de ceux que Francesco Rosi tournait à la même époque. Bien sûr, le traitement ambigu (trente ans d'avance sur la vague du torture porn) amène parfois à se demander si tout ce déballage de cochonneries est vraiment là pour dénoncer où juste pour se rincer l'oeil (ce qui ne serait pas non plus pour me déplaire) de manière vaguement excusable. Les derniers plans, extrêmement tenus, grandioses et austères à la fois, valident la première hypothèse : Fulci y fait de Beatrice Cenci une sainte laïque et populaire, et en profite pour lancer une dernière pique au Pape. Une vrai leçon d'élégance, en somme. Et puis, que voulez-vous, je suis incorrigible : voir Georges Wilson se compromettre en faisant le pervers clownesque chez Lucio Fulci, ça me fait autant bidonner que Michel Piccoli chez Mario Bava.

Publié dans Fleur Bleue

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