Queens of Noise

Publié le par Scritch

The Runaways, Floria Sigismondi, 2010

 

Le film s'ouvre, comme Carrie, sur les règles de l'héroïne. Cela, d'emblée, lui accorde mon estime, non pas par plaisir graveleux d'assister à une fuite menstruelle (encore que), mais parce qu'il montre une réalité du corps de l'adolescente (de la femme), qui plus est le corps d'une actrice qu'on a connue enfant, donc sacrée, quelque chose de commun (ça arrive paraît-il une fois par lune environ) mais pourtant tu comme si c'était indigne ou sale, comme une forme de stigmate de la femme ; et le film va s'attacher à ça : dire que ce qui est "monstrueux" ou "normal", finalement ça peut être la même chose, ou ça peut être inversé, mais que ce soit dit : il n'y a pas de "C'est comme ça".

runaways.jpgPas que le film soit un pamphlet féministe : il ne demande pas la lune, juste que les filles puissent porter des blousons noirs, jouer de la guitare électrique et faire pipi debout, et tout ça il le montre. Il y a Dakota Fanning / Cherie Currie qui est une petite fille sage qui rêve de David Bowie, et Joan Jett / Kristen Stewart qui est une riot grrrl, qui a un cran d'arrêt et les yeux cerclés de noir. Et puis Sandy West qui ressemble un peu à un garçon mais quand même à une fille, et c'est dommage qu'elle se retrouve un peu éjectée du film à mesure que celui-ci avance parce que c'est un vrai beau personnage de cinéma. Du groupe, on verra surtout la relation Currie-Jett, qui fait un beau sujet de film mais omet que les Runaways ont sorti trois albums sans Currie et que Lita Ford, réduite à portion congrue (hé ho, c'est elle qui se tapait tous les soli...) est un personnage important du hard rock eighties. Hein les filles, c'est laquelle qui a enregistré un duo avec Ozzy ?

Dans le même genre, on aurait apprécié que Sandy West, morte il y a quatre ans de manière peu douce, ait le droit à un petit mot au générique de fin. Il y a des manquements qui sont durs à justifier. Et les bassistes successives (Michael Steele, future Bangle ?), on n'en parle même pas, amalgamées en un personnage fictif.

Reste donc cette histoire de deux filles opposées complémentaires, blonde-brune, gentille-méchante, douce-virile, recrutée-volontaire, reprenant le schéma Jagger-Richards, Lennon-McCartney, Strummer-Jones, qui vaut ce qu'il vaut (très certainement pas grand-chose) mais qui permet d'effleurer une option belle et émouvante, prétexte à des scènes d'une sensualité légère comparable à celle d'un morceau de Throwing Muses : le saphisme juvénile, sans doute plus envisagé comme moyen de transgression que comme réelle orientation, ce qui est toujours un peu limité, mais ce n'est pas grave : l'émancipation, la découverte de soi n'ont pas à se justifier. Le film ne dit pas vraiment si Jett et Currie ont été amantes parce que même les glam rockeuses ont droit à la pudeur. On peut regretter qu'il soit un peu timoré sur le sujet comme s'il y avait des esprits innocents à ménager ; ailleurs Sigismondi montre des mineures le nez dans la poudre, ce qui est courageux, mais prouve aussi qu'il y a des choses qui sont plus "choquantes" que d'autres.

Une idée forte : puisqu'à la même époque les rockers mâles s'habillaient en fille, les Runaways allaient se comporter comme des mecs, avec des burnes de deux tonnes. "Pensez avec vos bites", leur dit Kim Fowley, qui les appelle "bitches" et est obsédé par leurs vagins sans jamais y toucher. Peut-être y a-t-il là moyen d'étrangler la frange la plus bigote du pseudo-féminisme, celle qui au nom du respect de la femme fait la chasse aux images qu'elle dit dégradantes, et ça c'est plutôt rigolo, mais enfin, cela rapelle aussi, et c'est plus gênant, que c'était un homme qui commandait, que le premier groupe rock féminin d'envergure était conçu et manipulé par un homme. Les Runaways ont fini par virer Fowley, mais le groupe n'y a pas survécu bien longtemps.

Pas longtemps : la période couverte par le film est d'à peine deux ans, ce qui suffit à caser la formule ascension - Big in Japan - descente de trip, tout cela va vite, excessivement vite (sans empêcher le problème de rythme récurrent des biopics, toujours trop pleins d'événements). Avec un sentiment un peu désagréable à la fin, quand tout rentre (mal) dans l'ordre et que la sainte quitte la corruptrice pour devenir une honnête travailleuse. Et alors, l'impression que tout cela n'était qu'un rêve, un bel album de vignettes pop magnifiquement photographiées par Benoît Debie, qu'on avait repéré il y a six ou sept ans dans quelques films français audacieux et marginaux, et qu'on est foutrement heureux de retrouver ici. Phil Man disait qu'il avait aimé l'arrivée des clips, parce que c'était pour lui comme si les pochettes de disques s'étaient animées ; c'est exactement ça ici : j'ai sous les yeux la pochette du Live in Japan, sorte d'idéal pop, de parfait manuel du comment faire, et c'est ahurissant et formidable et beau parce que ce sont à l'écran les mêmes costumes, les mêmes coiffures, le même nez cassé, et c'est comme un fantasme fétichiste partiellement assouvi. A une époque où même les jeunes filles sont réactionnaires, les Runaways et leur musique qui caresse et agresse sont plus que jamais salutaires.

Publié dans RockaRoll

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