Once More, with Feeling

Publié le par Scritch

Blues Brothers 2000, John Landis, 1998

 

Faut pas écouter les peine-à-jouir : le vrai snobisme, le seul qui vaille, ça n'est pas mépriser ce que la masse adule, c'est aimer ce que personne n'estime. Blues Brothers 2000, film dédaigné, est généralement présenté comme un pâle remake de l'original, et peu semblent voir à quel point c'est ça qui est beau justement, cette manière qu'a le film d'être humble vis-à-vis de son glorieux aîné. On sait que John Belushi manque, et tout le film crie ce manque, et il faut bien trois remplaçants (dont John Goodman, génialement crémeux) pour insister sur le fait que Belushi est irremplaçable. Le but, c'est de refaire coûte que coûte l'original, en sachant qu'on n'y parviendra pas, juste pour la beauté du geste, pour pouvoir dire qu'au moins, on aura essayé. Ainsi la Bluesmobile, achetée par Elwood parce qu'il lui faut une Bluesmobile, quitte à ce que ça ne soit pas tout à fait la même. C'est affaire de posture (le costume, les lunettes, cette raideur de pacotille qui tente de filtrer l'émotion), il faut avoir quelque chose à montrer, pouvoir faire comme. Et compenser le manque par l'excès, vraie marque de la décadence, en cassant encore plus de voitures : comme on sait qu'on fera forcément pareil en moins bien, autant y aller franchement et faire pareil en pire.bluesbrothers2000.jpg

Je lis rarement du bien de la forme des films de John Landis. C'est un cinéaste globalement apprécié pour sa maîtrise de la comédie, dont on ignore souvent les qualités plastiques. Le premier film magnifiait dès l'ouverture la ville Chicago, celui-ci offre une représentation en forme de livre d'images du southern gothic, ce territoire à la fois réaliste et mythologique. Le montage des séquences chantées, toutes merveilleuses, privilégie l'énergie à la chorégraphie : les gestes sont isolés en vignettes fragmentées, pour certaines presque figées, qui extraient l'instant (la pose, comme en couverture des magazines) du tout. Landis ne craint pas filmer ses comédiens en pied dans un décor factice façon Carpentier, préférant l'iconographie à la représentation du réel : c'est ça le rock n roll : de l'inventé qui sonne plus prégnant que le vrai.

J'ai découvert ce film en salle à sa sortie, avec mon frère. Nous y étions allé sur la foi de la bonne réputation du premier, qu'en ce temps ni lui ni moi n'avions vu (mon frère avait le disque, je crois) ; nous connaissions déjà quelques membres du casting, les plus connus : B.B. King, Eric Clapton et James Brown, Isaac Hayes, Dr John et Taj Mahal peut-être, pas Steve Winwood, Eddie Floyd, Sam Moore, Wilson Pickett, découverts ce jour-là et qui m'émerveillent régulièrement depuis ; à tous ceux-là le film adjoint quelques nouvelles têtes : Erykah Badu et Jonny Lang, comme un passage de flambeau, une transmission pareille à celle effectuée envers le public ; et comme il y a des nazis qui se font casser la gueule, c'est un film politique aussi, un peu. Blues Brothers 2000 est de ces films qui permettent de se construire culturellement et moralement, de se forger son imaginaire propre ; à défaut d'être les plus beaux (peu importe), ce sont les plus importants.

Publié dans RockaRoll

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