Naissance d'un Cinéaste
The Mechanik, Dolph Lundgren, 2005
Le premier film réalisé par Dolph Lundgren, The Defender, en 2004, était un ratage sympathique : affaibli par une mise en scène mollassonne et un scénario bourré de twists invraisemblables, il montrait néanmoins un refus de céder à la frénésie de l'actioner contemporain, une attention aux personnages et une précision dans la direction d'acteurs (Jerry Springer, parfait) passablement eastwoodo-fordiens.
Tourné un an plus tard, The Mechanik confirme cette bonne impression et lève la barre de deux ou trois crans. Certes, ça reste une bourrinade assez vulgaire, entachée de quelques effets visuels moches, là comme pour cacher que le cinéaste débutant n'a pas encore totalement confiance en ses capacités. Reste que Lundgren maîtrise admirablement le principal : le découpage. Il me semble que c'est sur ce plan que pêchent la majorité des films d'action actuels (Michael Bay me fait mal aux yeux), et même si Dolph n'est pas encore Michael Mann (il ne vise de toutes façons aucunement la virtuosité, juste l'efficacité), il parvient à créer un espace cohérent, dans lequel le spectateur se retrouve malgré la multiplication des angles de prise de vue.
Le truisme qui dit que la faiblesse des moyens stimule la créativité se vérifie beaucoup moins souvent qu'on voudrait bien le croire ; The Mechanik valide pourtant cette assertion : Lundgren ne disposant que d'une poignées de décors, il les exploite au maximum, les faisant traverser de long en large par ses acteurs et ses techniciens, en filmant les moindres recoins. La plus belle séquence du film se déroule dans une ferme, dans laquelle les deux camps qui s'opposent se retrouvent face à face, comme dans un western, avant de s'y éparpiller quand la fusillade débute. Lundgren y trouve suffisamment à filmer (alors que c'est un bâtiment relativement ordinaire) pour faire évoluer l'aspect du décor à l'écran et faire durer la scène une vingtaine de minutes sans ennuyer le spectateur ; de cette architecture il fait aussi un générateur de tension, un objet de suspense : on s'y cache, on s'y épie, on s'y poursuit, on se faufile entre les vaches, on se couche dans la paille, tout cela en maintenant la lisibilité de l'action.
Un mot sur la technique : pendant longtemps le film de troisième zone s'affichait en 16mm, granuleux, terreux, ce qui convenait parfaitement aux slashers rednecks ou aux thrillers marécageux. Avec l'arrivée de la HD [MAJ: voir les précisions du lecteur Jox en commentaire. Qu'il en soit remercié.], qui offre une image léchée pour un prix raionnable, le rendu est plus précis mais aussi plus lisse, plus clinique. On se retrouve avec des bastonnades de vidéo-clubs qui ont l'aspect de publicité pour cosmétiques - même si, dans le cas présent, l'opérateur ternit joliment l'image des scènes rurales. Il est encore un peu tôt pour prédire comment cela va évoluer, mais ça promet d'être passionnant, et c'est assez plaisant de voir ces films marginaux enfin bénéficier d'un certain cachet plastique.
En 2001, à la naissance de sa seconde fille, Dolph Lundgren avait annoncé se retirer des affaires pour s'occuper de sa famille. La parenthèse n'a duré que deux ans ; à l'approche de la cinquantaine, Lundgren est revenu dans la peau d'un cinéaste. Je trouve ça beau.