Out of the Past

Publié le par Scritch

Lone Star, John Sayles, 1996

 

C'est souvent intrigant, parfois amusant ou triste, que de se pencher sur les variations de reconnaissance (on pourrait dessiner des courbes, pour voir) envers les artistes : Mick Taylor et Eric Burdon sont toujours actifs mais personne n'en a plus rien à foutre. John Sayles a toujours eu une assez bonne cote auprès du public bobo US (après des débuts chez Corman, comme scénariste pour Joe Dante essentiellement) mais sa reconnaissance semble avoir été plus tardive en France, lors du "renouveau indie" (totalement fantasmé) du début des nineties. A l'époque de Lone Star, on parlait de lui (en bien) dans Première et dans Télérama. Et puis, sans qu'on sache trop pourquoi, les films suivant sont sortis moins bruyamment, sur des parcs de salles plus réduits, ou en été, ou pas du tout.lonestar.jpg

Le succès consensuel de Lone Star s'explique assez facilement : c'est un film bien tenu, écrit avec soin et joué avec élégance. Ça n'a pas la beauté brute de The Brother from Another Planet. C'est presque trop propre, trop bien fait : on voudrait qu'à un moment les coutures craquent, que ça pète, rote, molarde. C'est un ensemble movie façon Altman (en moins ricanant, merci), genre qui semble toujours marcher auprès de la critique américaine (et de quelques-uns en France), mais dont on peut trouver qu'il limite les possibilité d'exploration thématiques. Et il y a cette histoire de passé trouble qui pèse sur les personnages (un cadavre de trente ans exhumé en ouverture) ; toujours payant, ça, le passé trouble.

Blague à part, c'est à ce sujet que Sayles a l'idée la plus intéressante de son film : l'un des personnages est un professeur d'Histoire (Elizabeth Peña, très bien, forte sans en faire des caisses) d'origine mexicaine qui se heurte à un conseil éducatif majoritairement WASP parce qu'elle souhaite donner une vision plus complète et moins partiale des conflits entre Américains et Mexicains (le film se passe au Texas) comme la bataille d'Alamo, souvent abordée sous l'angle un peu trop légendaire de l'héroïsme cainri. (On rappelle que c'est Davy Crockett qui a perdu, hein.) Et donc, la thèse de Sayles semble être que la façon d'aborder l'Histoire pèse sur les individus aussi bien en tant qu'individus que comme membres d'une communauté ethnique. Sayles, chez qui le thème des relations inter-ethniques est récurrent, montre des personnages prisonniers d'un rôle prédéterminé : le shériff interprété par Chris Cooper (lumineux, très dur-mais-tendre) a été choisi parce que son père (Matthew McConaughey, dont la fadeur sert pour une fois parfaitement le propos), au même poste trente ans plus tôt, est considéré comme un héros. Pareillement, les Noirs fréquentent des bars pour Noirs parce qu'on ne veut pas d'eux ailleurs. Chacun doit être à sa place.

John Sayles est un type assez malin, incontestablement ; il finance ses projets personnels en faisant le script doctor pour des plus gros que lui, entretient sa technique de scénariste sur des projets plus commerciaux - il faut que je mette la main sur le machin qu'il a écrit pour Dolph Lundgren, ça m'interpelle vachement. D'où parfois un sentiment de roublardise, en plus d'un manque d'ampleur dans la mise en scène qui n'a pas de vie propre en-dehors de l'illustration d'un scénario. Reste une direction d'acteurs impeccable, tous ceux mentionnés plus haut, plus un Kris Kristofferson délicieusement répugnant, salopard ultime qui suinte la corruption et la veulerie par tous les pores.

Publié dans Tuff Guyz

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