Total Spookie

Publié le par Scritch

Gothic, Ken Russell, 1986

 

La Villa Diodati, c'est le fantasme goth ultime. L'endroit parfait où emmener sa babybat en vacances. C'est là que Mary-pas-encore-Shelley a eu l'idée de Frankenstein, et que John Polidori a entamé la rédaction du Vampire sur une idée de son copain Byron, et ça c'est quand même trve-über-d4rk. Alors quand Ken Russell, dont la réputation de grand malade n'est plus à faire, décide qu'il va consacrer un film à cet endroit et ces gens-là, avec sa finesse de style habituelle, forcément, moi, hein, je chausse mes bottes noires et j'enfile mes mitaines Andrew Eldritch style, et je suis trop content.gothic.jpg

Alors, c'est sûr, il y va pas dans la dentelle le père Russell. C'est presque mieux comme ça. On était après tout en droit d'attendre quelque chose de raffiné, dandy - hey, c'est quand même un film avec George Byron et Percy Shelley dedans. Mais le raffinement et Russell, ça fait deux (même si le film n'est pas pour autant dépourvu d'une certaine classe) ; il préfère faire dans le rentre dedans Grand-Guignol, comme si on pouvait encore faire peur à son public avec des trucs dégueulasses de base, genre des sangsues, des rats, ou des trucs à boire mais faut vraiment avoir soif vu la tronche que ça a. C'est une belle preuve de foi. Comme en plus de ça, il a pas peur d'être transgressif (Hé, tu te souviens la scène avec les flageolets dans Tommy ? Vachement trop critique de la consommation, ouais, hein.) et qu'en plus la bande à Byron c'est des sacrés libertins bien chauds, y a des scènes où on les voit faire des trucs nus tous ensemble, sauf Polidori qui mate - le mec, c'est quand même, rappelons-le pour l'Histoire, un génie qui a eu son doctorat à 19 ans et qui s'est suicidé à 25 en ayant néanmoins en aussi peu de temps réussi à laisser des trucs pas négligeables derrière lui, mais non, pour Russell c'est juste un gros cochon grotesque.

C'est très rigolo mais c'est aussi une des limites du film : on aurait bien aimé que le portrait, disons, intellectuel, des personnages, leur rapport aux idées de l'époque, soient un peu creusés. Le féminisme de Mary Godwin est résumé à un caractère de forte tête alors que quand on sait d'où elle vient, quelle éducation elle a certainement eue, on se dit que, quand même, ça devait être un peu plus politiquement réfléchi que ça. Au lieu de ça, Russell en fait des marionnettes un peu vaines, de jeunes oisifs privilégiés et décadents (mais merde, quoi, les Shelley étaient socialistes), somme toute assez futiles, ce qu'ils étaient peut-être aussi - tous ces gens sont à l'époque encore très jeunes (Mary Shelley a écrit Frankenstein à 18 berges, avouez, ça vous en bouche un coin) ; d'ailleurs, comble du romantisme (ou de la lose ?), certains d'entre eux ne seront jamais vieux.

A part ça, c'est filmé en abusant du grand angle sans doute pour faire vaciller les sens du spectateur, c'est plein de nuits bleues transpercées par la foudre, à mi-chemin entre la tradition Hammer et le ciné-chic eighties façon Tony Scott (ou Andrew Blake), Gabriel Byrne et Julian Sands surjouent comme ça devrait pas être permis, la musique de Thomas Dolby sonne comme un mélange entre Rick Wakeman et John Carpenter, décors et costumes sont du meilleur goût (sans rire, là) pour peu qu'on apprécie le style précieux et qu'on fasse l'impasse sur les perruques, c'est constamment à deux doigts de la catastrophe audiovisuelle et pourtant c'est vivifiant, frivole au bon sens du terme, drôle pas forcément volontairement mais qu'importe, et surtout tout sauf conventionnel malgré la tonne de clichés ; bref, ça met de bonne humeur. Il faut juste pour ça faire partie de ces gens qui sont capables d'avoir encore, ne serait-ce qu'épisodiquement, 17 ans d'âge mental, l'innocence nécessaire pour encore verser une larme adolescente à l'écoute de First and Last and Always ou Love Will Tear Us Apart, la naïveté qui était la leur quand pour la première fois ils se crêpaient les cheveux en cherchant où Maman avait rangé sa trousse de maquillage. Tant pis pour les autres ; on les plaint un peu.

Publié dans Rêveries

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R
<br /> <br /> Nom de Zeus, je suis allé voir ça au cinéma à l'époque. Je suis ressorti furieux évidemment. Pourtant, je crois me souvenir d'un truc positif, peut-être un plan même, mais je suis incapable de me<br /> souvenir quoi...<br /> <br /> <br /> Le serpent à la fin ? Mmmmm pas sûr... :p<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Ah ah, mais je conçois totalement qu'on puisse trouver ça grotesque, outrancier, presque crétin, de mauvais goût, au-delà des limites du nawak acceptable : c'est justement pour<br /> ça que j'aime.<br /> <br /> <br /> <br />