Goin' South

Publié le par Scritch

Leap of Faith, Richard Pearce, 1992

 

Richard Pearce est un cas intéressant : réalisateur relativement apprécié, qui mène une carrière enviable (professionellement parlant) à la télévision et s'est illustré sporadiquement au cinéma dans des films portés par des vedettes non négligeables (Richard Gere, Whoopi Goldberg, Robert Duvall), c'est pourtant presque un inconnu, la faute sans doute à un style discret, joliment neutre. Même quand il s'offre un plan virtuose (dans Leap of Faith, un lever de soleil pendant un panoramique, faisant passer le décor du jour à la nuit en plan-séquence), c'est sans démonstration aucune, sans insistance. Il fait dans la beauté simple, façon René Fallet country : par exemple un envol de papillons, furtif, une conversation dans un café. Il semble y avoir chez lui un plaisir à filmer le Heartland (il y revient souvent), à en saisir l'âme, la moiteur bluesy. Il fait chaud et humide au Texas, et ça se voit à l'écran. C'est beau.leapfaith.jpg

On nage ici en plein gospel, que Pearce filme avec ambivalence : il capte à merveille la musique d'église, sa chaleur soul, son énergie, tout en satirisant la ferveur superstitieuse qui l'accompagne. On pourra trouver le film un peu trop timoré sur ce plan : finalement, le prêcheur charlatan joué par Steve Martin n'est pas attaqué parce qu'il est un religieux, mais au contraire, parce qu'il ne l'est pas vraiment, parce qu'il ne croit pas à ses propres mensonges. C'est confronté à une manifestation divine et à une crise de foi personnelle qu'il obtient le pardon, ce qui, convenons-en, reste une vision assez cul-béni de la morale. Mais c'est aussi un moyen de laisser planer un peu de magie, d'innocence. On pourrait aussi penser que les bigots illuminés prêts à avaler pareilles fadaises sont les victimes consentantes des évangélistes roublards, mais le film, pas méchant envers eux, semble nous dire qu'ils ont bien le droit de croire. C'est sans doute ménager un peu trop chèvre et chou, mais c'est fait sans hypocrisie, sans cynisme.

Leap of Faith est aussi intéressant dans sa mise à nu du système Steve Martin. Il est plus que tentant de dresser un parallèle entre son rôle d'évangéliste et son métier d'humoriste : dans les deux cas, il faut réussir son entrée, tenir la scène, se mettre les gogos dans la poche. C'est un regard assez noir que Martin semble jeter sur lui-même, alternant les scènes "en civil" où il fait son numéro de vieux beau un peu las, charmeur pas dupe, mou derrière une jovialité de façade, avec celles sur scène, où, en costume à paillettes, il bondit et hurle, à la limite de la folie, inquiétant quant à son rapport au réel quand on sait que le show, les miracles soi-disant accomplis par le prêcheur, tout cela est truqué. Steve Martin, comme souvent les rigolos poussés à bout, fait en fait un peu peur. Le reste du cast n'est pas mal non plus : il y a là Lukas Haas encore jeune, Philip Seymour Hoffman encore mince, Liam Neeson affable, ce bon vieux Meat Loaf, et, surtout, Debra Winger peu de temps avant son départ en semi-retraite. De cela, il faut profiter.

Publié dans PTDR

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